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S’attaquer aux risques liés à la nature et à la biodiversité

Par Joanna Eyquem

De plus en plus, les actuaires reconnaissent que la nature et la biodiversité font partie intégrante de l’évaluation financière des risques et qu’il s’agit d’un domaine de pratique en émergence.

Dans la foulée de l’énoncé Intégrer la nature à l’analyse de scénarios climatiques pour une résilience accrue de l’Institut, les risques liés à la nature et à la biodiversité ont constitué un thème important lors du Congrès annuel 2024 de l’Institut. Dans ce contexte, Joanna Eyquem, du Centre Intact d’adaptation au climat, aux côtés de l’experte Geneviève Grenon, de Desjardins Gestion internationale d’actifs, et du modérateur Richard Brown, FICA, ont animé une séance portant sur les enjeux fondamentaux entourant cette question.

Vous trouverez ci-dessous des précisions concernant les principaux éléments de leur exposé.

De quoi est-il question, au juste? Explication des principales définitions

Dans les milieux financiers, le terme « biodiversité » est souvent utilisé comme un terme générique pour parler de la biodiversité, de la nature et des services écosystémiques. Toutefois, chacun de ces termes est différent.

Selon la Convention sur la diversité biologique, la biodiversité est la « variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. »

« Si la biodiversité est la vie, la nature est l’ensemble des systèmes naturels existants, y compris l’eau, la terre et les processus atmosphériques. »

Dans le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, les services écosystémiques sont définis comme étant « les contributions de la nature aux populations ». Ces services sont généralement classés dans trois catégories :

  1. les services d’approvisionnement, par exemple les produits du bois et de la pêche;
  2. les services de régulation et de soutien, comme la protection contre les inondations et la régulation des températures;
  3. les services culturels, tels que les usages récréatifs ou spirituels.

Ces services sont fournis par des éléments vivants et non vivants de la nature (figure 1). En ne nous concentrant que sur les éléments vivants, nous risquons de sous-représenter la valeur des services ou des risques.

Pourquoi tenir compte des risques liés à la nature et à la biodiversité et quel lien y a-t-il avec le climat?

Les changements climatiques et autres activités humaines occasionnent une perte de nature et de biodiversité. Comme des organisations des secteurs privé et public dépendent des services écosystémiques, la dégradation de ces derniers peut avoir une incidence financière substantielle et comporter des risques importants qui doivent être bien gérés.

Desjardins Gestion internationale d’actifs a recours à l’outil Exploring Natural Capital Opportunities, Risks and Exposure (en anglais) pour repérer les incidences et les dépendances dans les secteurs et sous-secteurs afin que son personnel en tienne compte dans les décisions de placement.

Source : Eyquem et coll. « Inscrire la nature au bilan : la valeur financière des actifs naturels à l’ère des changements climatiques », adaptation de HM Treasury (2021) The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review, 2022.

La nature est un élément essentiel au ralentissement des changements climatiques (stockage et séquestration du carbone). Elle contribue également à notre résilience face aux impacts climatiques tels que les inondations, l’érosion côtière ou les fortes chaleurs. On ne peut vraiment comprendre les « dangers naturels » (impacts climatiques) sans comprendre la nature et la façon dont nos activités l’ont modifiée.

À cette fin, les recommandations du Groupe de travail sur les informations financières liées à la nature sont fondées sur le « lien entre climat et nature » qui en constitue l’un des sept grands principes. Elles énoncent de manière explicite les façons dont la nature peut contribuer à la lutte contre les changements climatiques.


Que s’est-il passé à la COP15? Quelles sont les perspectives pour la COP16?

COP signifie « Conférence des parties ». La COP15 fait référence à la Conférence de l’ONU sur la biodiversité tenue en 2021-2022, soit la 15e Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, à ne pas confondre avec la série de COP de la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques!

La COP15 s’est conclue en décembre 2022 par la signature du Cadre mondial de la biodiversité mentionné précédemment, lequel vise à stopper et à faire reculer la perte de biodiversité d’ici 2050. Le cadre comporte quatre objectifs pour 2050 et 23 cibles pour 2030, soit dans seulement six ans.

Ces dernières comprennent les cibles 30 x 30 :

  • remettre en état 30 % des écosystèmes dégradés (cible 2);
  • conserver 30 % des zones terrestres et des eaux intérieures, ainsi que des zones marines et côtières (cible 3);
  • restaurer, préserver et renforcer les contributions de la nature aux populations (cible 11).

Lors de la COP16, le Canada présentera sa Stratégie pour la nature 2030.

Le secteur financier était très présent lors de la COP15. Des sociétés privées, dont Desjardins gestion internationale d’actifs, ont signé le Finance for Biodiversity Pledge (en anglais), un engagement à l’égard de rapports publics en matière de nature et de biodiversité.

Plus de 200 investisseurs institutionnels se sont aussi unis dans le cadre de l’initiative Nature Action 100 (en anglais) pour engager un dialogue avec des entreprises de secteurs clés dont on juge qu’elles ont une importance systémique afin d’inverser la perte de nature et de biodiversité d’ici 2030. On continuera probablement à mettre l’accent sur ces initiatives lors de la COP16, à laquelle le secteur financier du Québec enverra une délégation.

Pourquoi est-il important d’accorder une valeur à la nature et aux risques liés à la nature en termes financiers?

Les contributions de la nature aux populations ont une valeur financière, mais ne sont pas systématiquement prises en compte dans les rapports comptables et financiers.

Dans un entretien avec le New York Times (en anglais), l’économiste Partha Dasgupta, Ph. D, a comparé le fait que le produit intérieur brut fasse fi de l’ampleur de la perte de nature permettant de créer de la croissance à [traduction] « une équipe de foot qui mesure sa réussite au nombre de buts qu’elle compte sans tenir compte de ceux qu’elle concède. » Il ne s’agit donc pas simplement de repérer et de déclarer les risques, mais aussi d’intégrer la valeur du capital naturel à la comptabilité courante.

Des changements sont déjà en cours. Le Conseil des normes comptables internationales du secteur public devrait publier un projet de norme portant sur les « actifs en ressources naturelles » d’ici la fin de 2024. Statistique Canada est déjà en train de compiler des comptes nationaux de capital naturel dans le cadre du Recensement de l’environnement.

Plusieurs administrations municipales intègrent également les actifs naturels aux informations non auditées. Comme 80 % des terres du Canada appartiennent au secteur public, cette situation est aussi susceptible d’affecter le secteur privé, en particulier les interactions entre le secteur public et le secteur privé. Il conviendrait peut-être de réfléchir aux « risques de transition » en ce qui concerne la transition vers un système comptable tenant compte de la nature.

Quel rôle les actuaires peuvent-ils jouer dans l’évaluation et la gestion des risques liés à la nature et dans la création d’un avenir bénéfique pour la nature?

Les actuaires jouent un rôle central en matière de gestion des risques. Ils peuvent exploiter cette position pour intégrer de façon efficace la compréhension de la nature et de la biodiversité à la gestion des risques et pour inciter les autres à agir et à gérer ces risques.

Les risques résident dans la dépendance envers la nature, par exemple les services d’approvisionnement. Ils découlent aussi de la détérioration de la résilience climatique, ou de l’accélération des changements climatiques, découlant des changements relatifs aux services de régulation et de soutien attribuables à la perte de nature.

À titre d’exemple, du point de vue de l’assurance vie et maladie, les risques de mortalité et de morbidité découlant des grandes chaleurs peuvent s’accroître lorsque la végétation et le feuillage des arbres sont insuffisants pour offrir de l’ombre et rafraîchir les villes. Du point de vue des assurances IARD, les municipalités où les milieux humides, les plaines inondables naturelles et les forêts ont disparu sont susceptibles de présenter un risque accru d’inondation et d’érosion.

« Les actuaires peuvent contribuer à déterminer le rôle que jouent la nature et la biodiversité quand il s’agit d’établir le niveau de risque, ainsi que leur incidence sur la valeur financière. »

Les sources de données comprennent l’étendue et l’état des actifs naturels (stocks), ainsi que des services écosystémiques (flux), leur valeur monétaire et l’évolution de ces éléments au fil du temps. Voici quelques ressources clés qui pourraient intéresser les personnes qui s’initient à ce domaine :

Ressource Organisation Utilité
International     
System of Environmental-Economic Accounting Ecosystem Accounting   Organisation des Nations unies (ONU) Cadre conceptuel aux fins de la comptabilisation du capital naturel national
Groupe de travail sur les informations financières liées à la nature Groupe de travail sur les informations financières liées à la nature Cadre de travail pour les informations financières liées à la nature
InVEST® (Integrated Valuation of Ecosystem Services and Tradeoffs) Natural Capital Project, Université de Stanford Évaluation des services écosystémiques (plusieurs modules sont offerts)
Canada    
Recensement de l’environnement Statistique Canada Registre national des écosystèmes du Canada, lié à la comptabilisation du capital naturel national
Spécifications pour les inventaires d’actifs naturels (CSA W218:F23) Groupe CSA Norme nationale du Canada aux fins de l’inventaire des actifs naturels
Inscrire la nature au bilan : la valeur financière des actifs naturels à l’ère des changements climatiques Centre Intact d’adaptation au climat, Initiative des actifs naturels, KPMG Canada Portrait de la situation de la gestion des actifs naturels au Canada

La suite des choses : prise en compte de la nature et de la biodiversité dans l’évaluation des risques financiers

Alors que l’on invite le monde financier à reconnaître l’importance de la nature et de la biodiversité dans le cadre de l’évaluation des risques, les actuaires sont particulièrement bien placés pour promouvoir cette intégration. En intégrant le capital naturel aux modèles de risque et aux processus décisionnels, les actuaires sont en mesure non seulement d’améliorer la stabilité financière, mais aussi de contribuer à un avenir plus résilient et plus durable.

À cette fin, les actuaires doivent impérativement s’engager dans les recherches et les ressources de pointe. Outre les ressources susmentionnées, le document Intégrer la nature à l’analyse de scénarios climatiques pour une résilience accrue présente un cadre facilitant la compréhension de ces risques et de leurs conséquences. De plus, dans l’entretien balado avec Malika El Kacemi-Grande, FICA et membre du groupe de travail chargé de l’élaboration de cet énoncé, on explique plus en détail comment les actuaires peuvent mieux intégrer cette variable dans leur travail. 

Le fait de diffuser ces ressources et d’en discuter au sein de la communauté actuarielle et au-delà pourrait amplifier leurs effets.

Au sujet de l’autrice

Joanna Eyquem est une leader internationalement reconnue dans le domaine de l’adaptation au climat et des solutions fondées sur la nature. Elle possède plus de 25 ans d’expérience en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Son travail au Centre Intact porte sur la réduction des risques d’inondation, d’érosion et de chaleur, en mettant à contribution, en particulier, la nature et le secteur financier. Dans le cadre de ce travail, elle dirige l’élaboration de lignes directrices nationales sur la résilience climatique et les solutions fondées sur la nature, y compris la divulgation, dans les états financiers et les rapports sur le développement durable, des actifs naturels et des services écosystémiques qu’ils fournissent.

Elle siège également à 30 conseils d’administration et comités. Elle soutient notamment la Stratégie d’adaptation nationale, le Canadian Sustainable Finance Network, le forum du Groupe de travail sur l’information financière liée au climat (TNFD), la coalition Un Canada résistant au climat (dirigée par le BAC), le Conseil national de recherche du Canada, le Groupe CSA et le Groupe d’experts en adaptation du gouvernement du Québec. Elle est aussi vice-présidente du conseil d’administration de l’Initiative sur les actifs naturels.

Cet article présente l’opinion de son autrice et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.

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