Par Julian Chapman
Les mots ont un pouvoir.
Ils ont aussi des tas de connotations et, trop souvent, ils peuvent nous faire réagir ou bien nous leur donnons un sens tout à fait particulier. Prenez les mots « gestion » et « leadership ». Ces deux-là sont plutôt vus comme s’excluant mutuellement.
Le terme « gestion » traîne avec lui un sens péjoratif, évoquant l’image de bureaucrates ennuyeux, rigides et sans humour qui passent leur temps à scruter des chiffriers. Un leader, en revanche, est considéré comme un héros, de ceux qui se précipitent pour sauver les vieilles dames sur le point d’être frappées par un autobus, ou qui inspirent des millions de personnes par leur charisme et leur audace. En lisant ces lignes, vous avez certainement campé votre position d’un côté ou de l’autre. Mais mon but ici est de montrer que, quoi qu’en disent d’innombrables livres sur les affaires, le leadership n’est pas tout et que la gestion n’est pas un défaut.
Dans notre société complexe, nous avons besoin des deux. Nous devons être capables de nous approprier et de mettre à profit l’un comme l’autre afin d’améliorer nos organisations et notre monde. Les mots ayant leur importance, je vous présente ma propre définition des deux termes. La gestion, c’est l’acte d’administrer une organisation afin de la rendre efficace et propre à inspirer confiance. Elle est axée sur l’exécution des tâches ou la production. Le leadership, c’est l’acte d’influencer et de motiver les autres, et de leur donner les moyens d’accomplir leur travail. Il est axé sur les personnes. Si on fusionne le tout, on obtient le « leadership de gestion », que je définis comme la faculté de réaliser des objectifs tout en ayant un effet positif sur les autres. Ce nouveau terme vise à rassembler les deux notions plutôt qu’à les diviser, pour qu’elles soient toutes deux considérées sur un pied d’égalité. Ainsi, pour réussir, on doit s’occuper des tâches et des personnes, et trouver un équilibre entre le rôle de contremaître et celui de chef de croisière. Si vous n’en avez que pour la gestion, vous allez épuiser votre équipe; si vous êtes trop complaisant et que vous cherchez surtout à rendre tout le monde enthousiaste et à l’aise, vous risquez de manquer votre objectif. Il faut donc trouver un équilibre et gérer la tension entre ces deux pôles.
Regardons maintenant du côté de notre expérience. En début de carrière, nous choisissons une profession, par exemple en sciences actuarielles. Nous entamons alors un parcours qui mène à un rôle d’expert technique, et notre réussite dépend de notre capacité à être de bons actuaires et à accomplir les tâches de la fonction. Toutefois, avec le temps qui passe et les réussites qui s’accumulent, nous prenons conscience que nous sommes limités à nos compétences techniques. Donc, si nous voulons continuer d’évoluer et nous voir confier plus de responsabilités, nous devons assumer un rôle de leadership de gestion. Il s’agit alors d’obtenir des résultats en mobilisant les autres, mais nos compétences actuarielles, qui peuvent toujours nous servir, restent là. Le scénario typique va comme suit : lorsqu’on ne parvient pas à réussir par l’intermédiaire des autres (le côté leadership), on enfile le costume du maître d’œuvre et met l’accent sur l’exécution des tâches (le côté gestion). Et si cela ne fonctionne pas non plus, on laisse tomber et on fait le travail soi-même en puisant dans ses compétences actuarielles. Cette situation n’est pas exclusive aux actuaires : elle s’observe dans tous les secteurs et toutes les entreprises. Elle découle de l’absence de professionnels du leadership de gestion. Nous nous percevons comme des experts techniques et non comme ce pour quoi nous sommes payés dans les faits : quelqu’un qui obtient des résultats en mobilisant les autres tout en ayant un effet positif sur eux.
Alors, comment résoudre cette équation? Plusieurs choses sont nécessaires. Tout d’abord, il faut prendre conscience que nous ne pouvons plus nous appuyer sur les compétences techniques de base qui nous ont permis d’arriver là où nous sommes. Nous avons besoin d’adopter un nouvel état d’esprit, qui se résume avant tout ainsi : « mon rôle de gestionnaire, c’est mon travail ». ll nous faut donc de nouvelles aptitudes, et reconnaître la nécessité d’apprendre, surtout en matière de leadership de gestion. Les compétences de gestion et de leadership peuvent s’acquérir, mais il faut avoir la discipline pour les considérer comme faisant partie de notre rôle et pour nous améliorer continuellement. Ce changement de mentalité et de compétence n’est pas facile. Le leadership de gestion est un apprentissage permanent; il n’existe pas de formation technique pour obtenir ce titre, et vous devez continuellement parfaire vos aptitudes. Et d’ailleurs, avis aux perfectionnistes! Vous ferez des erreurs. Durant mes 38 ans de carrière dans l’exercice et l’enseignement du leadership de gestion, j’ai commis des milliers d’erreurs. Mais si on se place dans une perspective d’amélioration continue, j’ai pu en tirer des leçons.
En plus de changer de mentalité et d’acquérir d’autres compétences, vous devez aussi demander de l’aide. Il y a d’ailleurs une personne clé dans l’organisation qui est là pour vous aider. Bien que la tendance soit de se tourner vers les ressources humaines – qui peuvent effectivement aider –, la personne sur laquelle vous devez compter, c’est votre gestionnaire. Celui-ci affronte les mêmes défis que vous, mais son travail, c’est de vous aider. C’est l’essence même du leadership de gestion : votre gestionnaire est là pour vous aider; non pas avec les détails techniques, mais pour y voir clair dans l’aspect désordonné du leadership de gestion. Et comme il s’agit d’un apprentissage permanent, cette personne suit le même parcours de perfectionnement que vous. Elle a encore moins d’occasions de s’appuyer sur ses compétences techniques. Elle délaisse graduellement l’action et est de plus en plus engagée dans la planification et la réflexion. Il est donc important que vous fassiez appel à votre gestionnaire et que vous vous épauliez mutuellement. Lorsque vos employés seront témoins de cela, ils verront que l’équipe de gestion est une unité productive et cohésive – une équipe de leadership de gestion – et en tireront une motivation.
Alors, pourquoi s’attarder au nom qu’on donne à la chose?
Parce que les mots ont bel et bien un pouvoir. Il est temps pour nous de reconnaître la valeur de notre travail en le nommant correctement. Ce travail est parfois difficile – terrifiant même –, et souvent, il ne procure pas de satisfaction immédiate. Mais c’est un travail important. Il consiste à équilibrer soigneusement la gestion et le leadership, et aussi à prendre conscience que, lorsque vous avez des subordonnés directs, le leadership de gestion devient la priorité sur tout le reste. Vous devez faire évoluer votre mentalité et vos compétences, et demander de l’aide alors que ce n’était peut-être pas dans vos habitudes. Votre monde a changé, et pour réussir, vous devez vous adapter.
Pour savoir comment être un gestionnaire engagé et un leader éclairé, joignez-vous à nous lors d’act21, qui se tiendra du 15 au 18 juin, et voyez comment le changement est un tremplin pour les actuaires.
Cet article reflète l’opinion de l’auteur et il ne représente pas une position officielle de l’ICA.