Par Joséphine Marks, FICA, présidente du Conseil des normes actuarielles
Au moment de rassembler nos réflexions pour exposer la façon dont nous aurons survécu à la pandémie de 2020, il y aurait peut-être lieu de nous interroger sur la façon dont nous nous sommes acquittés de nos obligations professionnelles pendant cette période déstabilisante et inattendue. Bien que les fonctions actuarielles n’aient pas été désignées à titre de service essentiel, bon nombre d’entre elles seront affectées par la COVID-19 et nous continuerons d’être tenus à un degré élevé de professionnalisme. Les actuaires qui exercent une vaste gamme de fonctions, notamment l’évaluation des régimes de retraite et de la santé financière, devraient peut-être songer à aiguiser leur habileté à appliquer les normes actuarielles en cas d’« événement imprévu » tel que cette rare pandémie.
Heureusement, nos très sages normes générales prévoient l’éventualité de telles circonstances.
La sous-section 1140, qui donne le ton à l’ensemble de notre travail, nous commande d’exercer un jugement raisonnable dans l’application des normes. Il convient notamment de tenir compte de l’esprit et de l’intention des normes et de faire preuve de bon sens. Eh oui, nos normes contiennent les mots « bon sens », même s’il ne s’agit pas d’une expression définie.
Au paragraphe 1150.02, on nous rappelle que l’on peut trouver d’autres conseils utiles dans les documents historiques. Si nous en savons peu sur les paramètres de la peste noire ou des premières épidémies de variole survenues dans le Nouveau Monde, nous sommes assurément en train de devenir des experts dans l’histoire de la grippe espagnole du début du vingtième siècle. Nous prenons connaissance des paramètres de cette pandémie précédente, mais nous réfléchissons tous aux répercussions potentielles de ces paramètres sur les hypothèses et méthodes actuarielles à l’égard de cette nouvelle pandémie.
Le paragraphe 1160.02 nous rappelle que l’application de certaines recommandations au-delà de leur portée devrait tenir compte de circonstances pertinentes. Pour la plus grande partie des fonctions exercées par les actuaires, il est difficile d’imaginer un élément à l’égard duquel la COVID-19 ne serait pas une circonstance pertinente. La COVID-19 affecte le bien-être physique et mental, l’existence ou non d’interactions avec les autres et les façons d’interagir, le lieu où l’on exerce les fonctions actuarielles et la façon de les exercer et, au bout du compte, les résultats de ce travail actuariel.
Le paragraphe 1230.01 nous indique que la pratique actuarielle reconnue admet la déviation par rapport à une recommandation figurant dans les normes qui ne s’appliquerait pas convenablement à des situations inhabituelles ou imprévues. On ne sait pas si la COVID-19 atteindra ce seuil, mais l’exercice du jugement actuariel dont il est question plus haut nous permet de nous interroger à savoir si tel est ou devrait être le cas.
Dans le cas où la COVID-19 aurait constitué un empêchement à l’acceptation d’un mandat, le paragraphe 1310.02 nous dit que l’actuaire devrait renégocier ou annuler le mandat ou, à tout le moins, présenter un rapport au sujet de l’empêchement et de ses répercussions. L’insuffisance ou la non-fiabilité des données (à laquelle il n’est pas possible de remédier) constituerait un tel empêchement.
La sous-section 1430 des normes de pratique aborde précisément les événements subséquents. En voici le libellé :
1430.02 Dans le cas du travail à l’égard d’une entité, l’actuaire devrait tenir compte de tout événement subséquent (autre qu’un calcul pro forma), si l’événement subséquent :
- fournit des renseignements au sujet de la situation de l’entité à la date de calcul;
- fait rétroactivement de l’entité une entité différente à la date de calcul; ou
- fait de l’entité une entité différente après la date de calcul et que l’un des buts du travail est de produire un rapport sur la situation future de l’entité découlant de l’événement en question.
1430.03 L’actuaire ne devrait pas tenir compte de l’événement subséquent si cet événement fait de l’entité une entité différente après la date de calcul et que l’un des buts du travail est de produire un rapport sur la situation de l’entité à la date de calcul. Quoi qu’il en soit, l’actuaire devrait cependant faire état de cet événement subséquent dans son rapport. [En vigueur à compter du 1er février 2018]
Le paragraphe 1420.01 présente un Diagramme de décision d’événement afin de faciliter cette interprétation.
Si la pandémie constitue un événement qui fait de l’entité une entité différente après la date de calcul, les paragraphes 1430.10 à 1430.12 s’appliqueraient. Ces paragraphes expliquent s’il convient ou non de tenir compte de l’événement, mais indiquent que, quoi qu’il en soit, l’actuaire doit en faire état dans son rapport. Selon mon interprétation, on pourrait raisonnablement croire que la pandémie « affecterait les opérations futures de l’entité et les calculs subséquents de l’actuaire », quoiqu’il se pourrait bien que ces effets ne soient pas encore bien compris. Il se pourrait qu’à l’issue de cette expérience, on arrive à la conclusion que rien n’a changé, mais je crois qu’il serait désolant que l’on n’ait rien appris de cet événement.
Enfin, le paragraphe 1620.03 indique que, au moment du choix ou de l’examen d’hypothèses, l’hypothèse appropriée devrait être une continuation du statu quo, à moins qu’il y ait une attente raisonnable qu’elle change. Le paragraphe 1620.23 indique qu’une extrapolation tiendrait compte de tout changement qui influe sur la perspective.
Comme je l’avais promis, nos normes générales sont empreintes d’une grande sagesse qui pourrait nous être utile en cette période déstabilisante. Concluons cet article comme nous l’avons commencé, soit avec la sous-section 1140, qui parle de l’importance du jugement actuariel, lequel revêt une importance particulière en période d’incertitude et de changement.
Cet article a été publié initialement dans l'(e)Bulletin de l’ICA.