Par Mario St-Hilaire, FICA, et Steve Turmel, FICA, membres de la Commission des rapports financiers des compagnies d’assurance-vie de l’ICA
L’impact de la COVID-19 sur l’expérience de morbidité est encore inconnu pour le moment. Voici toutefois quelques considérations importantes relatives au processus d’établissement des hypothèses de morbidité en cette période sans précédent. L’hypothèse de morbidité englobe principalement les taux d’incidence pour les produits d’assurance maladies graves, santé, invalidité et soins de longue durée, ainsi que les taux de terminaison pour les produits d’assurance invalidité et soins de longue durée.
- Il se peut que les assureurs notent une augmentation des taux d’incidence pour les produits d’assurance invalidité de courte et de longue durée pendant la crise de la COVID-19. Avec la prolongation de la période de confinement, des enjeux de santé mentale pourraient être davantage observés. Voici quelques exemples d’éléments susceptibles d’avoir une incidence sur le nombre de nouvelles réclamations et les prestations devant être versées aux assurés :
- Les travailleurs de première ligne pourraient s’épuiser.
- Les personnes qui doivent retourner au travail tout en sachant qu’elles courent encore le risque d’attraper le virus pourraient être susceptibles de ressentir un haut niveau de stress.
- La situation économique et l’incertitude liée à la situation de travail pourraient avoir une incidence sur les réclamations observées.
- Les personnes infectées par la COVID-19 pourraient avoir besoin de traitements médicaux ou être hospitalisées, ce qui pourrait faire augmenter les taux d’incidence pour les produits d’assurance invalidité de courte durée (ICD).De nouvelles mesures préventives mises de l’avant par les entreprises telles que l’aide psychologique ou la télémédecine pourraient avoir une influence positive sur les employés et limiter le nombre de nouvelles réclamations. Les organisations qui ont accès à des informations pertinentes sur une base régulière et en temps opportun pourraient être en mesure d’avoir une vision plus complète de la crise et ainsi pouvoir agir plus rapidement pour relever les défis au fur et à mesure qu’ils se présentent. Les actuaires doivent demeurer attentifs à des variations potentielles des taux d’incidence au cours des mois et des années à venir.
- Les taux de terminaison pour les cas d’invalidité en santé mentale pourraient vraisemblablement être touchés par la COVID-19. Le stress additionnel lié à la pandémie et à la conjoncture économique pourrait prolonger le temps de rétablissement des assurés en invalidité. L’effet pourrait aussi se faire sentir sur le taux de rétablissement pour les cas d’invalidité actuels devant bénéficier d’un traitement en personne (p. ex., physiothérapie, massothérapie, etc.). Les mesures de confinement et de distanciation sociale compliquent l’accès à ces traitements, ce qui risque de ralentir le rétablissement dans certaines situations. Ces mesures pourraient aussi avoir un impact sur la capacité de la société d’assurance à suivre le processus de rétablissement des personnes actuellement en invalidité. Comme pour les taux d’incidence, les actuaires doivent être attentifs aux effets potentiels de la crise de la COVID-19 sur les hypothèses relatives aux taux de terminaison pour les produits d’assurance invalidité, effets qui pourraient varier en fonction du type d’invalidité.
- On ne s’attend pas à ce que la COVID-19 influence directement les taux d’incidence de maladies graves. Certains ont suggéré que des personnes gravement touchées par le virus pourraient être plus susceptibles de développer certaines maladies graves éventuellement. Ce ne sont que des hypothèses pour le moment, mais les actuaires devraient avoir cela en tête au moment d’analyser l’expérience au cours des prochaines années. De plus, certains assurés pourraient décider d’attendre avant de consulter un médecin pour des problèmes de santé sérieux de peur d’attraper la COVID-19 ou parce que le système de santé est surchargé, ce qui pourrait résulter en des cancers ou d’autres maladies qui ne seront pas diagnostiqués à un stade précoce. Même si elle est susceptible d’abaisser le nombre de réclamations pendant la pandémie, cette situation pourrait possiblement avoir un effet négatif sur l’expérience post-COVID-19 pour les produits maladies graves.
- Les actuaires devraient être en mesure d’évaluer l’impact de la COVID-19 sur le niveau de la provision pour sinistres survenus mais non déclarés (ENR) ou en attente d’approbation et son décaissement futur (p. ex., une libération sur une période plus longue qu’attendu). À titre d’exemple, les mesures de confinement et de distanciation sociale pourraient ralentir le processus d’approbation, ce qui aurait une influence sur la date de règlement de nouvelles réclamations en raison de délais dans la préparation des documents exigés ou dans le processus d’analyse des demandes. En outre, les interventions chirurgicales reportées pourraient entraîner une détérioration de l’état de santé de certaines personnes à long terme, et une proportion plus grande de cas d’invalidité pourrait dépasser la période de protection en ICD, ce qui aurait une incidence sur les ENR pour les produits d’assurance invalidité de longue durée. Le confinement pourrait aussi retarder l’accès à des soins paramédicaux, et les actuaires pourraient décider de revoir les ENR pour certaines protections (p. ex., les soins dentaires préventifs/courants), mais ils tiendraient aussi compte du potentiel de réclamations plus importantes peu après l’assouplissement des mesures de confinement.
- Au Canada, comme dans d’autres pays, les décès causés par la COVID-19 touchent principalement les personnes âgées, dont certaines ayant perdu leur autonomie. Si on prend le Québec comme exemple, plus de 80 % des personnes décédées de la COVID proviennent des résidences pour personnes âgées, des établissements de soins de longue durée ou d’autres établissements analogues. Cette situation malheureuse pourrait avoir une incidence directe sur les blocs en vigueur de polices d’assurance soins de longue durée, et les sociétés pourraient enregistrer des taux de terminaisons plus élevées pendant la pandémie.
Bien que nous ayons plus de questions que de réponses à ce stade-ci, ce sont là quelques éléments que les actuaires auraient intérêt à analyser et à passer en revue lorsqu’ils évalueront la pertinence de leur hypothèse de morbidité au fil du temps.
Publications de l’ICA liées à l’hypothèse de morbidité
Les actuaires sont invités à relire les extraits suivants des publications de l’ICA :
- Les paragraphes 2350.15 à 2350.18 qui portent sur la morbidité de l’assuré dans la sous-section 2350 des Normes de pratique.
- La section 8 de la note éducative Évaluation du passif des polices d’assurance collective de personnes, qui fournit de l’information sur l’établissement de l’hypothèse de morbidité en assurance collective.
- La section 5.2 (Risque de morbidité) du document de recherche Considérations relatives à l’élaboration d’un scénario de pandémie.
Cet article reflète l’opinion de l’auteur et il ne représente pas une position officielle de l’ICA.
Cet article a été publié initialement dans le Carrefour COVID-19 de l’ICA.