Avec Cassandra Phaneuf
Dans la profession actuarielle, la diversité et l’inclusion sont essentielles pour encourager l’innovation et renforcer la communauté. Cassandra Phaneuf, analyste en actuariat à Montréal, incarne parfaitement cette réalité en tant que professionnelle autochtone. Son parcours combine à la fois une formation universitaire solide et une expérience pratique. Son implication dans divers groupes d’affaires a également influencé son parcours.
Dans cet entretien, Cassandra partage les leçons qu’elle a tirées de son expérience, les défis auxquels sont confrontés les étudiants et étudiantes autochtones qui aspirent à une carrière en actuariat, ainsi que des stratégies concrètes pour promouvoir la représentation autochtone au sein de la profession et du milieu de travail.
Comment êtes-vous devenue analyste en actuariat? Qui vous a incitée à choisir cette carrière?
J’ai décidé de me lancer dans une carrière en mathématiques actuarielles suite à la recommandation de mon professeur de mathématiques au secondaire. J’ai toujours obtenu de bonnes notes en mathématiques et j’aimais résoudre des problèmes. Grâce à mon père, j’ai également développé un intérêt pour le monde des affaires. Les mathématiques actuarielles m’ont semblé être un bon choix, car elles combinent des compétences techniques avec une compréhension générale des affaires, essentielles pour prendre des décisions. J’appréciais également le fait que les actuaires aient souvent des opportunités d’accéder à des postes de direction et de gestion.
J’ai fréquenté l’Université du Manitoba, où j’ai obtenu un baccalauréat en commerce assorti d’une majeure en mathématiques actuarielles, plutôt qu’un baccalauréat ès sciences. J’ai beaucoup apprécié mon programme, car il m’a permis de cultiver mon intérêt pour l’administration des affaires tout en me préparant à travailler dans un environnement entrepreneurial en me fournissant une base solide sur les principes fondamentaux des affaires.
Expliquez-nous comment votre engagement auprès du comité des étudiants et étudiantes autochtones en commerce de l’Université du Manitoba (UMICS) a façonné votre carrière en tant qu’analyste en actuariat.
Dès mon premier jour à l’université, j’ai été mise en contact avec l’UMICS. Je me suis immédiatement sentie comme chez moi sur le campus. Je me suis beaucoup investie au sein de l’UMICS, le comité des étudiants et étudiantes autochtones, dont j’ai assuré la présidence durant ma dernière année. L’objectif principal de l’UMICS est de renforcer les liens entre la communauté des affaires et les étudiants et étudiantes autochtones, tout en sensibilisant les entreprises à leur rôle dans le processus de réconciliation.
Mon mandat de présidente m’a permis d’acquérir une précieuse expérience en administration des affaires, en gestion budgétaire, ainsi qu’en organisation d’événements, allant de petits groupes à une conférence en ligne réunissant plus de 100 participants et participantes. J’ai également développé des relations avec des entreprises locales, vendu des commandites pour nos événements, et fait beaucoup de réseautage. Mon principal objectif à l’UMICS était de favoriser un fort sentiment de communauté parmi nos étudiants et étudiantes ainsi que nos entreprises partenaires.
Toutes les compétences que j’ai développées au sein de l’UMICS ont été facilement transférables à ma carrière. Je suis extrêmement reconnaissante d’avoir eu cette opportunité d’acquérir de l’expérience tout en bénéficiant d’une communauté solide durant mon parcours universitaire.
Selon votre expérience, quelles sont les principales difficultés auxquelles se heurtent les étudiants et étudiantes autochtones qui souhaitent poursuivre une carrière dans des domaines tels que l’actuariat, et comment peut-on les surmonter?
Pendant mon temps à l’UMICS, j’ai appris que l’expérience autochtone varie énormément d’une personne à l’autre. Ainsi, les étudiants et étudiantes autochtones ne se butent pas tous et toutes aux mêmes obstacles.
Il arrive souvent que les étudiants et étudiantes autochtones soient les premiers de leur famille à entreprendre des études postsecondaires, ou qu’ils et elles proviennent de communautés éloignées, les obligeant ainsi à quitter leur famille pour fréquenter l’université. Les études postsecondaires en elles-mêmes présentent de nombreux défis, mais les études actuarielles, qui demandent un investissement considérable de temps, peuvent accentuer le sentiment d’isolement.
L’inscription aux examens d’actuariat et l’achat des manuels d’étude sont aussi très onéreux. Les charges financières sont évidemment nombreuses, mais elles peuvent être allégées par des bourses d’études et des programmes d’études offerts par l’employeur.
De plus, il peut être très difficile de ne pas se sentir représenté dans la carrière que l’on souhaite poursuivre, surtout lorsque l’on est le premier ou la première de sa famille à suivre cette voie. Il y a moins de personnes ayant vécu cette expérience qui peuvent vous conseiller. Heureusement, j’ai l’impression que les modèles autochtones gagnent en visibilité, et j’aimerais voir cette tendance continuer.
En tant que personne profondément engagée dans des initiatives de développement de la conscience communautaire, comment voyez-vous le rôle des employeurs pour soutenir les talents autochtones et favoriser leur bien-être au travail?
L’appel à l’action 92 de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) s’adresse directement à la communauté des affaires et je conseille à tous ceux et celles qui travaillent en entreprise d’en prendre connaissance.
Les structures d’entreprise diffèrent souvent des structures de leadership et de communauté autochtone. C’est pourquoi je pense qu’il est crucial de faire preuve de souplesse pour soutenir les talents autochtones. Par exemple, permettre à un employé autochtone de faire du télétravail peut lui offrir l’occasion de retourner plus souvent dans sa communauté, ce qui est très bénéfique. Les employeurs peuvent également se montrer compréhensifs quant à l’importance des familles élargies et des communautés très soudées, en accordant des congés de deuil ou de proche aidant même lorsqu’il ne s’agit pas d’un membre de la famille immédiate. Reconnaître l’importance de la communauté pour les professionnels et professionnelles autochtones est essentiel pour surmonter certains défis en milieu de travail.
Les employeurs devraient aussi veiller à offrir aux employés autochtones un espace où ils peuvent s’exprimer librement sur les difficultés rencontrées et se sentir écoutés. Ils pourraient, par exemple, organiser des formations de sensibilisation à la culture autochtone pour tout le personnel et s’assurer que les politiques internes soutiennent les employés concernés, plutôt que de les contraindre. Un suivi régulier peut faciliter des discussions confidentielles sur les expériences et les aspirations professionnelles. La mise en place de mécanismes de retour d’information anonymes permettrait également aux employés autochtones de partager leurs préoccupations sans crainte de représailles. Ces initiatives contribuent à créer un environnement où l’écoute et la reconnaissance des perspectives autochtones sont encouragées.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants et étudiantes autochtones qui aspirent à faire carrière dans des domaines où les personnes autochtones ont toujours été peu présentes?
Je leur conseillerais de chercher un mentor pendant leurs études. Les gens sont souvent très disposés à donner de leur temps et à répondre aux questions. Si vous rencontrez quelqu’un dont vous admirez la carrière ou une compétence, n’hésitez pas à lui demander un entretien. C’est une excellente manière de développer votre réseau tout en obtenant des conseils et des informations qui pourraient vous être utiles. Cela demande du courage, mais cela en vaut vraiment la peine!
Comment envisagez-vous l’avenir de l’inclusion des personnes autochtones au sein de la profession actuarielle et quelles sont, selon vous, les mesures à prendre pour favoriser une meilleure égalité des chances pour ce groupe sous-représenté?
Les mesures énoncées dans l’Appel à l’action 92 sont, à mon avis, excellentes.
À l’avenir, je pense que l’éducation sera un élément central. Il est essentiel de s’informer sur l’histoire des peuples autochtones et leur situation actuelle au Canada. Internet regorge de ressources gratuites de grande qualité. Informer tout le monde sur le lieu de travail contribue à créer un environnement plus compréhensif et équitable.
Je souhaiterais également voir davantage d’efforts pour garantir un accès équitable à l’emploi et à l’éducation. La flexibilité des conditions de travail et une communication ouverte seraient aussi bénéfiques.
Enfin, il est crucial d’offrir aux employés un espace où ils peuvent exprimer librement leurs préoccupations, s’assurer qu’elles soient prises en compte, et impliquer les employés dans la mise en œuvre des solutions, lorsque cela est possible. Ces actions sont essentielles pour créer un milieu de travail satisfaisant pour chaque personne.
Existe-t-il des initiatives ou des projets auxquels vous participez actuellement (ou dont vous êtes au courant) qui visent à soutenir la représentation et l’inclusion des personnes autochtones au sein de la communauté actuarielle ?
Plusieurs entreprises, dont mon employeur, ont adopté un programme de formation complet à l’intention de tous les employés au sujet de l’histoire des peuples autochtones et du Canada, par exemple le programme des 4 saisons de la réconciliation. Cette formidable initiative s’inscrit dans le cadre de l’appel à l’action 92 de la Commission de vérité et réconciliation. Elle sensibilise de nombreuses personnes à la complexité de l’histoire des peuples autochtones au Canada et aux défis auxquels ils font face aujourd’hui.
En ce qui concerne les étudiants et étudiantes en actuariat, la Fondation actuarielle du Canada offre plusieurs bourses d’études, dont la Bourse pour l’égalité des opportunités, qui est axée sur la diversité. L’ICA et l’Association nationale des étudiants en actuariat offrent aussi plusieurs bourses d’études pour la diversité, l’équité et l’inclusion, dont l’une vise expressément les étudiants et étudiantes autochtones qui poursuivent leurs études en actuariat.
La Casualty Actuarial Society et la Society of Actuaries offrent également un programme de remboursement des examens axé sur la diversité, lequel est une excellente ressource.
Quelles sont vos aspirations dans le cadre de votre carrière et avez-vous l’intention de continuer à militer en faveur de la diversité et de l’inclusion au sein de votre domaine?
J’aspire à continuer à aimer ce que je fais, à obtenir mes titres de FCAS et de FICA, et à gravir les échelons pour accéder à des postes de direction et de gestion.
Je compte également poursuivre mon engagement en faveur de la diversité et de l’inclusion, des valeurs qui me tiennent particulièrement à cœur. Je suis convaincue que nous traversons actuellement une période charnière dans le monde des affaires, où les entreprises sont de plus en plus prêtes à redoubler d’efforts pour améliorer la situation en matière d’inclusion.
Cassandra Phaneuf est une jeune professionnelle Métisse de la rivière Rouge et des Premières Nations qui travaille à son titre professionnel en actuariat. Elle a obtenu un baccalauréat en commerce avec majeure en mathématiques actuarielles de l’Université du Manitoba en janvier 2022 et faisait partie de la deuxième cohorte du Programme de leadership étudiant du président. Elle a depuis déménagé à Montréal et travaille à temps plein pour Intact Assurance dans l’équipe de l’actuariat d’entreprise à titre d’analyste en actuariat.
Cet article présente l’opinion de son auteure et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.